Apocalypse Files - Issue #5 - Lactalis - French Version
Apocalypse Files - Issue #5 - Lactalis - French Version
As you will notice, France is in the spotlight this week, but you can access the English version here.
Dans chaque numéro (bimestriel), nous explorerons les menaces qui pèsent sur le modèle économique actuel d'une entreprise ou d'un secteur. Nous étudierons les facteurs qui pourraient entraîner des changements systémiques de l'industrie et, surtout, nous imaginerons des solutions possibles, en examinant les tendances nouvelles et évolutives, les niches inexploitées, les nouveaux modèles économiques ainsi que les opportunités d'investissement...
Dans ce numéro, nous nous intéresserons à un mastodonte de l'industrie laitière française, qui a fait le choix de rester relativement discret auprès du grand public malgré son poids économique incontestable : Lactalis. Bienvenue dans le dossier Apocalypse.
Born to Be Wild
Simple producteur de camemberts en 1933, Lactalis est devenu le leader mondial des produits laitiers. Président, Galbani, Lactel... avec une cinquantaine de marques à son actif, les produits Lactalis sont aujourd'hui incontournables. L'entreprise s'est développée selon 2 grands axes de développement, une croissance organique au travers de ses propres marques comme Président et une croissance externe avec plusieurs acquisitions comme la division fromage du groupe Kraft-Heinz en 2020.
Fait rare, même après 80 ans d'existence et de croissance soutenue, Lactalis est toujours détenu exclusivement par la famille fondatrice. La success story de cette entreprise familiale semble reposer sur un mantra fort : agir sur le terrain plutôt que s'étendre en long discours. Pour croiser Emmanuel Besnier, président en exercice et actionnaire majoritaire, il vaut mieux se rendre au siège de Laval ou même sur l'un des sites de production Lactalis que devant les caméras. Un choix atypique dans notre société ultra-médiatisée.
L'entreprise est profondément ancrée à l'échelle locale, avec plus de 70 sites de production dans toute la France. Le groupe a toujours été partisan d'une stratégie industrielle décentralisée. Pour ses marques phares, Lactalis privilégie plusieurs sites de production à taille humaine plutôt qu'une seule méga-usine. Cette stratégie est à la fois une force et une faiblesse pour le groupe, qui ne dépend pas d'une usine unique, et dispose d'un réseau étendu pour couvrir efficacement la demande sur l'ensemble de territoire. Mais ce modèle est aussi source d'une grande complexité dans la chaîne d'approvisionnement et limite la traçabilité.
Face à la demande croissante des consommateurs en matière de transparence, d'approvisionnement local, et la montée des préoccupations de durabilité dans les comportements d'achat du grand public, Lactalis parviendra-t-il à mieux communiquer sur l'origine de ses produits et à gagner la confiance des consommateurs malgré la complexité de sa chaîne d'approvisionnement ?
Ain't Nothing Like the Real Thing
La France a beau être le pays du fromage avec plus de 1000 fromages, la consommation de lait est en baisse constante avec une diminution de 25% sur les 15 dernières années, pour atteindre une quantité de 45 litres par habitant en 2018. Par comparaison, en Finlande, l'un des pays où la consommation de lait est la plus élevée d'Europe, les habitants consomment en moyenne 130 litres par an.
Ce désamour des Français pour les produits laitiers s'explique par de multiples facteurs : la montée en puissance du régime flexitarien, la préoccupation croissante pour le bien-être animal, et les changements dans les habitudes alimentaires (notamment la réduction du temps passé à prendre un petit-déjeuner). Des défis structurels existent également : l'industrie souffre d'une image à scandale et fait l'objet de vives critiques concernant son opacité, ce qui entraîne une érosion encore plus importante de la base des consommateurs de lait.
Si les Français consomment moins de produits laitiers, ils sont à la recherche d'une meilleure qualité de lait et surtout demandent plus de transparence. C'est dans cette logique, que le gouvernement français a lancé en 2016 une phase expérimentale sur un décret obligeant les industriels à informer les consommateurs sur l'origine du lait sur l’étiquette des bouteilles de lait mais aussi des produits transformés à base de lait. A leur échelle, les consommateurs expriment leurs exigences en soutenant le lait bio et les initiatives locales : les gammes bio sont en plein essor (malgré une baisse depuis la crise des covid), avec une croissance annuelle de la consommation de lait bio de plus de 10% contre une croissance négative de la consommation autour de -3% pour le secteur global . Des marques ultra-locales comme Le Lait Ile-de-France, un lait 100% produit dans les Yvelines, viennent bouleverser le marché.
Les industriels se sont rapidement adaptés puisqu'aujourd'hui 97% du lait consommé en France provient de France. Malheureusement pour les produits transformés comme les fromages, les yaourts ou les plats cuisinés, l'origine est encore souvent absente. Quelles sont donc les solutions pour Lactalis afin de répondre au désir de transparence des consommateurs ?
En tant qu’entreprise fabriquant des produits transformés, comment adapter sa chaîne d'approvisionnement pour communiquer facilement des informations précises aux consommateurs ? Ces questions ne s'appliquent pas exclusivement à l'industrie laitière, toute entreprise ayant une chaîne d'approvisionnement complexe et multinationale pourrait suivre l'une de ces voies de développement.
White Room
Moderniser la collecte de l'information. Même s'il n'est pas toujours possible de simplifier la chaîne d'approvisionnement, il existe des moyens de la rendre plus transparente grâce à des outils de collecte de données efficaces. Les entreprises agroalimentaires utilisent désormais des étiquettes RFID et des QR codes pour pouvoir suivre ce qui se passe, où et quand tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Le fournisseur français de volailles Sénécal s'est par exemple associé à UBI Solutions pour suivre sa chaîne d'approvisionnement de la ferme au magasin. Il a même franchi une étape supplémentaire en rendant ces données accessibles aux consommateurs, afin de renforcer la confiance et d'étayer des affirmations telles que "produit localement" par des données concrètes, ce qui a permis d'augmenter les ventes.
Promouvoir la transparence. Les consommateurs considèrent l'accès à l'information comme allant de soi. Mais avec l'essor des fake news et la multiplication des sources d'information, ils ont développé un esprit critique aiguisé sur l'exactitude des informations qui leur sont fournies et ont accrues leurs exigences en termes accès rapide à des informations impartiales, grâce notamment à des outils comme Yuka. La blockchain, en contrôlant les actions de chaque auteur, pourrait être utilisée comme un outil pour fournir des informations sur les produits, garantir un certain niveau d'impartialité et rendre chaque acteur de la chaîne d'approvisionnement encore plus responsable de ses actions. Néanmoins, dans la chaîne d'approvisionnement agroalimentaire, la blockchain n'en est encore qu'à ses débuts. Carrefour, est le premier et seul distributeur français à avoir mis en place la blockchain depuis 2018 pour sa gamme Filière Qualité Carrefour, avec un premier pilote sur les poulets d'Auvergne en 2018.
Piloter plutôt que subir. Le décret de 2016 sur l'origine des produits laitiers émanait d'un souhait exprimé par la population pour plus de transparence. A l'annonce de ce décret, Lactalis a immédiatement engagé une procédure judiciaire pour l'invalider car le groupe jugeait impossible de le respecter en raison de la complexité de sa chaîne d'approvisionnement. La difficulté pour Lactalis de se conformer à ce décret est révélatrice de la complexité pour les industriels d'anticiper les tendances des pouvoirs publics et des consommateurs. La veille des tendances marché et de la concurrence sont des outils essentiels pour rester un leader de l'industrie. Ce qui fait la différence entre un acteur clé et un suiveur est sa capacité à anticiper les demandes des consommateurs au bon moment et à développer des processus et des produits capables de répondre à ces attentes plutôt que de chercher à contourner ou à ralentir le changement. L'Appel des près, une marque de lait lancée en 2017 par Lactalis produisant uniquement en Bretagne et Pays de la Loire et dont la rémunération des agriculteurs est communiquée sur l'emballage, est symbolique de cette approche orientée vers les tendances de consommation.
Débuter par des initiatives POC et les étendre à l'échelle du groupe. Les enseignements tirés d'une marque spécifique ou même simplement d'une gamme peuvent être utiles à l'ensemble du portefeuille. Le partage des connaissances est un facteur clé de l'innovation. L'incertitude est inhérente à l'innovation, mais elle peut être maîtrisée grâce aux enseignements tirés de marques les plus novatrices du portefeuille et des lancements pilotes à petite échelle. S'inspirer pour aller plus vite, plus loin et moins cher. Galbani pourrait par exemple s'inspirer des processus mis en place par President, pour fournir un niveau d'information plus élevé sur les produits et leur origine. Aujourd'hui, les produits phares de la marque Président, comme le camembert et le beurre, portent des informations précises sur l'origine du lait et/ou le lieu de production, alors que Galbani ne communique aucune information sur l'approvisionnement des ingrédients de sa mozzarella, même sur sa gamme bio.
Les tendances et les attentes des consommateurs auxquelles Lactalis est confronté ne sont pas spécifiques à l'industrie laitière mais s'appliquent à tous les grands groupes agroalimentaires. La clé de la longévité de ces entreprises réside dans la manière dont elles abordent ces défis. Les entreprises leaders de demain les attaqueront de front, en plaçant les pratiques durables au cœur de leurs valeurs, et donc en anticipant les changements plutôt qu'en se laissant menacer par l'évolution des attentes des consommateurs et des réglementations.
C'est tout pour cette fois !
PS : Si vous ne l'avez pas deviné, tous les titres des paragraphes sont tirés des singles du Billboard Hot 100 de 1968, année où Michel Besnier a fondé Président car " La France est le pays des présidents, tout le monde est président ! De l'association de pêche, des boulistes, des anciens combattants...".
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