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Apocalypse Files - Issue #8 - Design Fiction "La Dictature Verte"

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Apocalypse Files - Issue #8 - Design Fiction "La Dictature Verte"

Jan 11, 2022
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Apocalypse Files - Issue #8 - Design Fiction "La Dictature Verte"

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Dans chaque numéro (bimensuel), nous explorons d’habitude les menaces qui pèsent sur le modèle économique d'une entreprise ou d'un secteur. Nous innovons dans cette édition avec un exercice de Design Fiction : nous tissons un scénario imaginaire basée sur des tendances et controverses contemporaines, et étudions les facteurs qui pourraient entraîner des changements systémiques de l'industrie. Surtout, nous imaginons des solutions possibles de réponse des acteurs du textile aux nouvelles contraintes réglementaires, et réfléchissons aux différents impacts que ces solutions pourraient avoir sur la société.


Nous vous emmenons en 2042, dans une France où le gouvernement s’est saisi de l’importance de réduire l’empreinte carbone de ses citoyens en limitant la consommation à 2tCO2eq par an, contre une moyenne à 10 aujourd’hui.. Bienvenue dans le dossier Apocalypse.

A l’aube du 10e anniversaire du Passeport Carbone, la rédaction d’Apocalypse souhaite vous résumer les changements opérés dans l’industrie du textile afin de vous partager une question qui ne quitte plus nos esprits : pourquoi ne pas s’attaquer aux moeurs des consommateurs pour réduire notre empreinte carbone quand il s’agit de vêtements ? Le secteur agro-alimentaire a réduit son offre en arrêtant l’import de certains produits et a redirigé ses clients vers une consommation de meilleure qualité. L’industrie automobile après son fiasco de la voiture électrique a insufflé l’envie de redécouvrir nos régions. Mais alors pourquoi ne sommes-nous pas capable d’avoir une consommation de vêtements raisonnée ? Pourquoi les mesures du Passeport Carbone ont-elles tant de mal à faire évoluer l’industrie textile ?

No Tears Left To Cry

Les consignes étaient claires et pourtant rien ne changeait. “Je pense que c’est de dépasser les 20 tonnes d’émissions de CO2 par an qui a fait réagir les français. Ce chiffre est effrayant” déclarait Cynthia Fleury, la Ministre de la Responsabilité et de l’Intérêt Général suite au vote du Portefeuille Carbone. La publication annuelle de l'ADEME de 2027 était critique. “Nos émissions de CO2 ont explosé à la fin de la crise sanitaire du Covid-19 en réponse à une soif de renouveau” analysait Barbara Pompili, l’ex-Ministre de la Transition Ecologique dans son livre Le lourd bilan.

Les Français étaient tiraillés entre la peur grandissante des catastrophes liées au réchauffement climatique et une incapacité constante à faire des choix raisonnés de consommation qui viendraient atténuer leur impact sur le vivant. Le lien entre consommation et crise environnementale n'était plus éprouvé par la majorité des humains. Des tensions géopolitiques s'installèrent entre les signataires des Accords de Paris qui se retrouvaient dans l'incapacité de montrer des résultats positifs. Les réflexions s’étaient rapidement tournées vers une politique drastique de respect de l'environnement. C’est alors que 187 pays signèrent durant la COP34 les accords de Thimphou (au Bhoutan) visant à imposer à ses citoyens une consommation énergétique limitée et controlée.

New rules

Suite à son engagement au Bhoutan, le gouvernement français imposa un Portefeuille Carbone national limité à 1,8t de CO2 par adulte et 1,3t par enfant. Les émissions de CO2 furent réparties entre les émissions de sécurité et les émissions de confort. Les émissions de sécurité étaient liées au logement et à la capacité de subvenir à ses besoins physiologiques. Tout autre achat, produit alimentaire transformé, abonnement à une plateforme de streaming, vêtement... devait être validé par le scan de son Passeport Carbone afin de d'être décompté de ses crédits annuels. La majorité de la population eut une grande difficulté à concilier leur budget économique avec leur portefeuille écologique. Ainsi, depuis décembre 2032, les Français ont accès à la version 12.4 du service Mon Convertisseur CO2 lancé en 2021 par le gouvernement. Cet outil de calcul d’empreinte CO2 pour les particuliers aujourd’hui renommé Tous Anti Extinction de l'Humanité est l’application la plus utilisée par les Français pour gérer leur portefeuille carbone.

Maximilian Bittner, PDG de Vestiaire Collective, révolutionna le commerce en certifiant tous les achats sur leur plateforme carbon free. “Les services de second-hand ou de troc sont déjà écologiquement neutres mais chez Vestiaire Collective nous prenons aussi a notre charge les frais de CO2 liés au transport garantissant tout achat à zéro CO2.” Les actions des plus grands acteurs de la fast fashion s’effondrèrent au détriment des services de vente et d’échange de vêtements d’occasion. L’IFOP publia en mai 2033 que 78% des dernières acquisitions de produits textiles des Français avaient été faites en point de troc Vinted. Le fameux procès de LVMH en mai 2034 n’avait pas abouti à la reclassification des produits textiles au rang de produit de sécurité. Seuls certains produits comme les manteaux, les rangers ou les sous-vêtements obtinrent un droit de subvention carbone dans la limite d’un certain nombre produit et soumis à une production locale. Une question subsistait alors chez tous les géants de l’industrie textile : comment continuer à vendre des produits abaissés au rang de biens de confort à un prix écologique vertigineux ?

Gucci Gang

La première action des industriels fut de s’attaquer au fléau écologique de leur milieu : le gaspillage des invendus. Uniqlo lança le mouvement du Click and Create avec sa première collection automne-hiver 2034, uniquement disponible en précommande 3 mois avant sa production. De cette manière, ils ne produisirent que le nombre exact de vêtements pour enfin abolir le concept d’invendus. Le Click and Create prit différentes tournures. La Perla commença par des collections mensuelles à production limitée. 100 unités étaient mises aux enchères les premiers samedis de chaque mois. C&A se mit à garantir ses produits à vie : un jean acheté pouvait être échangé à volonté dans des corners d’occasion.

D’un autre côté Zara commença à lutter contre le gaspillage de tous ses articles invendus non pas en recyclant les fibres mais en réutilisants les pièces pour être la base de créations up-cyclées. Les invendus de la collection 1 servaient à produire une collection 1bis et ainsi de suite jusqu’à venir à bout du dernier morceau de tissu. Une école entière de jeunes stylistes talentueux et engagés avait signé un contrat de 5 ans pour développer ces modèles. L’originalité de ces produits déchaina un effet de mode, les vêtements les plus retransformés devinrent les plus prisés par les jeunes.

L’effet de rareté n’avait finalement qu’augmenté le prix. L’empreinte écologique du vêtement n’avait que peu baissé. Les coûts de transports liés à la localisation des usines et à l’acheminement des matières premières, la transformation des matières et la consommation énergétique des points de vente classaient encore un simple jean dans la catégorie des luxes écologiques. Une très grande partie de la population n’avait plus accès au marché du textile. La Croix-Rouge lança une alerte au gouvernement en mars 2036 car les dons étaient en baisse critique du fait de la revalorisation des vêtements d’occasion dans d’autres circuits, laissant l’organisme démuni face à la hausse des populations dans le besoin.

Natural

La seconde stratégie pour réduire le coût environnemental de chaque article fut d’utiliser des matières premières à impact faible et de surveiller leur provenance. A l’entrée en vigueur du Passeport Carbone, il devenait impossible d’importer des textiles produits à plus de 1500km : les industriels et distributeurs sur le sol français durent se limiter aux textiles des pays limitrophes. En attendant l’an 2124 où le climat français sera viable à la plantation de coton, il fut primordial de s’adapter et de développer des fibres textiles sur la base de la faune et la flore locale.

La réintroduction des peaux fut d’abord sujet à un débat national. “Nous savons faire du cuir vegan depuis des décennies en recyclant des matières synthétiques ! En réintroduisant ce débat vous détruisez 20 ans de combat pour le respect du vivant” clamait Sébastian Arsac, le cofondateur de L214, durant la première Manifestation pour le Vivant. Plein d’acteurs régionaux partagèrent alors leur expertise pour offrir une réponse durable qui soutienne la demande du secteur. Cuir de grenouille, subvention pour l’adoption d’un mouton et gratuité à la formation du filage et du tissage maison, fibre d’algue, de chanvre et de lin en substitut du coton entrèrent dans le débat médiatique pendant de nombreux mois.

La France devint le premier producteur mondial de fibre de lait. Ne requérant que 2L d’eau par kilo de matière et étant très douce, cette fibre utilise le lait non consommé ou rejeté par les laiteries. “800 éleveurs représentatif de la France laitière ont été interrogés à la fin de l'été 2020 sur l’évolution de leur activité laitière, un quart envisage d’arrêter la production dans les cinq ans”*. Ce procédé venu en complément de revenu des agriculteurs est rapidement devenu la première activité des éleveurs de vaches laitières. Paul Desmoineaux, un producteur de fibre de lait en Franche Compté, nous confia que l’introduction du Passeport Carbone changea sa vie. “Aujourd’hui mon travail est vraiment valorisé. Après 100 ans de galère, les producteurs de lait ne produisent plus à perte et nos revenus nous permettent de créer un cadre sain et respectueux du bien-être animal”.

Seulement, si cette transition eut réjoui le marché du textile français, ce fut un problème pour Danone qui dut choisir entre s’aligner sur les prix du lait vendu aux usines de filage ou changer sa production de produits laitier par des produits végétaux. La Danette Choco-Caramel au lait de soja dans votre frigidaire est la preuve que tout industrie peut s’adapter sans se métamorphoser.

I Get The Bag

La dernière stratégie des industriels pour répondre à l’impératif de réduire les émissions carbone de leur secteur fut, dès l’année qui suivit l’instauration de ce contrôle drastique par le carbone, d’essayer de contourner les règles établies en plus de transformer les usages du secteur, notamment par de la compensation des émissions produites par la production de vêtements.

L’instauration du Portefeuille Carbone rendit de fait les citoyens responsables de la totalité des émissions de la nation. Chaque foyer put ainsi se rendre compte de l’impact de ses choix au supermarché, du coût pour la planète de l’achat d’une paire de chaussures supplémentaire, ou encore de l’impact d’un nouveau cartable pour la rentrée des enfants. Les entreprises, quant à elles, ne furent pas soumises à un Portefeuille mais eurent l’obligation de transférer à leurs clients le CO2 émis via la vente de leurs produits. Les premières années de la dictature verte laissèrent un flou réglementaire autour de ce principe ; les marques en profitèrent pour émettre plus que ce qu’elles ne devaient, et lancèrent en contrepartie des programmes massifs de plantation d’arbres en contrôlant parfois trop peu la légalité des sociétés de compensation. Les territoires ont vu leurs paysages urbanisés se transformer rapidement en forêts d’arbrisseaux rangés en ligne. Les départements du Tarn et de l’Hérault furent les premiers à tirer la sonnette d’alarme sur la plantation d’arbres : avec la plantation déraisonnée d’arbres par des marques peu soucieuses des détails de leur compensation, les sols du Haut Languedoc ont changé de composition et ont perdu en fertilité, ce qui a altéré les récoltes de champignons dans la région, si connue pour ses cèpes et ses girolles. Ce fut le point de départ de nombreuses manifestations et du célèbre slogan #PlantonsMieuxProduisezMoins, dont l’ampleur et la rapidité d’extension à tout le pays a rapidement amené une action de contrôle plus dur de l’Etat contre la compensation : le procès LVMH statua aussi en quelques semaines l’illégalité et l’anti-environnementalité des activités de compensation du groupe, qui fut dissout sans possibilité pour ses marques de se réunir ou d’être rachetées par un concurrent.

Walk It Talk It

Au-delà des avancées du secteur du textile des dernières années que nous avons rappelées plus haut, il est tout aussi important aujourd’hui de repenser le vêtement autour de son utilité originale, à savoir protéger le corps de l’environnement extérieur. C’était là le propre même de l’instauration du Passeport Carbone : faire repenser l’intérêt et l’essentialité de chacun de nos achats. Un vêtement doit redevenir fonctionnel avant d’être beau, à la mode : les marques de mode peuvent s’inspirer de cette utilité comme base pour construire leur communauté autour de valeurs plus saines. Si le vêtement n’est plus un marqueur social, qu’est-ce qui le devient ? Quel outil le secteur pourrait créer pour que chaque individu exprime sa singularité ? Les marques qui, comme Asphalte depuis 2016, lancèrent des vêtements sobres, résistants, en précommande et améliorés pour durer ont réussi à prendre une place importante dans l’écosystème français.

Si le vêtement n’est pas aussi codifié qu’un uniforme, il n’en est pas moins un moyen d’expression de son appartenance à un groupe. Questionner, requestionner la place que nous avons dans la société et affirmer notre singularité est un processus d’émancipation sain dont le vêtement sert de reflet. 10 ans après l’instauration du Passeport, le secteur de la mode n’a toujours pas opéré sa transition totale hors de cette image de vecteur d’appartenance. L’automobile, qui pendant des années était un symbole de richesse et d’appartenance sociale, réussit pourtant à opérer dans les années 2020 sa transition autour du partage de véhicules, des mobilités douces, et sut ralentir sa production effrénée. Nous pensons que la mode peut profiter de son expertise sur l’image des individus pour repenser de nouveaux produits, durables, qui pourraient s’inscrire dans le Passeport Carbone, et qui sont par nature moins source de pollution.

That’s all folks !

PS: Si vous ne l’avez pas encore deviné, tous les titres des paragraphes sont des singles du 2018 Billboard Hot 100, année du début de l’activité engagée de Greta Thunberg.


  • Qu’en avez-vous pensé ? Un passeport carbone pourrait-il exister ? Serait-il efficace ? Croyez-vous en une industrie de la mode locale et frugale ?

  • Vous avez un secteur ou une entreprise en tête sur lesquels vous souhaitez que nous nous penchions ? Faites-le nous savoir et nous l'ajouterons à notre liste : ils pourraient faire l'objet de notre prochain numéro !

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